De l’autre côté du monde, le soleil revint.
De ce côté-ci, la vie nocturne palpitait, s’éveillait et englobait la ville de son ambiance électromagnétique. Les enseignes du Casino défiaient l’obscurité des étoiles de leurs lueurs criardes. Au loin, on devinait un orage, sublime déchirement de la voûte céleste, retour à zéro.
Ses pas claquaient, agressaient le marbre rigide des marches de la terrasse. Il marchait le buste droit, animé d’une détermination glaciale, la tête haute, sans jeter le moindre regard autour de lui. À ses côtés, deux hommes en noir le suivaient, impassibles.
De ses deux bras tendus devant lui, il ouvrit les portes battantes avec force. Quelques personnes surprises se retournèrent, dévisagèrent vaguement, oublièrent. Un petit sourire illumina son visage d’une lueur indéchiffrable.
« Mesdames, Messieurs, bien le bonsoir ! Ah, Lester, vous voilà ! Votre oncle est-il déjà arrivé ? Non, je suppose, il aura préféré régler d’abord ses affaires de dernière minute... Un homme très sérieux, très professionnel.
- Bonsoir, Monsieur Vendini, répondit un jeune homme mal à l’aise, trop serré dans son costume trois pièces. C’est exact, Monsieur Winievsky m’a signalé qu’il n’arriverait que d’ici trois quarts d’heure.
- C’est parfait, parfait ! Je vais me mettre à l’aise et suivre une de ces passionnantes parties de poker.
- Bien, Monsieur Vendini. Je vous préviendrai immédiatement de l’arrivée de mon oncle, Monsieur Vendini. »
Lester s’en alla d’un pas maladroit, cachant difficilement son envie de fuir le plus loin et le plus vite possible du nouveau venu. Antonio Vendini, d’un geste sec, donna congé à ses deux accompagnateurs. Son regard balaya alors lentement l’ensemble de la salle. Un endroit tel que ce casino représentait à ses yeux un intérêt certain pour l’étude du genre humain. Il ne lui fallut que quelques secondes pour choisir une table.
Clare transpirait. Ses mèches noires et lisses retombaient sans cesse sur son beau visage, la fumée des cigares lui montait à la tête et lui donnait envie de tousser.
« Boris, je suis désolée. T’attends encore un peu, hein, tu veux bien ? Tu veux ?
- Bien sûr, ne t’inquiète pas, Clare, je ne partirai pas sans toi.
- Il m’a dit, le patron, que Lisa viendrait pas ce soir. Alors je dois encore bosser un peu, tu sais, pas longtemps hein, t’inquiète ! »
Boris s’éloigna comme une ombre et se retira dans un coin plus calme de la salle de jeu. Ce bruit, ces fumées, ces rires et ces cris de triomphe l’effrayaient. Comme son amie Clare, il n’était qu’un insecte indésirable qu’on repérait et qu’on écrasait lorsqu’il s’avançait, trop téméraire, sur ce tapis de velours rouge vif ; et souhaitait simplement rester dans sa prison d’obscurité rassurante.
De son côté, Clare n’avait de cesse de remplir les verres de scotch, de frotter le bois lustré du comptoir, de répondre aux demandes impatientes des clients éméchés et grisés par le jeu.
Antonio Vendini jubilait. Personne ne l’avait remarqué lorsqu’il s’était assis à une des tables de poker, suffisamment en retrait pour rester discret mais suffisamment proche pour ne rien rater du jeu des protagonistes. Dans sa maîtrise parfaite des mouvements et de la psychologie humaine, il analysait les mimiques des visages, les gestes frénétiques des mains, les battements des veines dans le cou des joueurs.
L’Atlantis Casino Resort. Il aimait ces lieux de péchés où, selon lui, la véritable nature de chacun était mieux représentée que jamais. L’hypocrisie. Elle perlait sur le front de ces gros bonhommes en costume, dégoulinait de leurs propos. La suffisance. Elle fusait de leurs rires, de leurs grosses montres en or qui enserraient leurs poignets gras. Le mépris. Dans leur façon de donner congé aux serveurs d’un geste désinvolte de la main, sans leur accorder la moindre attention. De jeter des regards lubriques à l’arrière-train des escort-girls, puis de se lancer ces clins d’œil entre eux en disant « Celle-là, une bonne fessée, c’est tout ce qu’elle mérite. ».
Mais surtout, oui surtout, leur addiction. Jamais Antonio ne se sentait plus vivant que lorsqu’il observait ces hommes prisonniers du jeu, de riches financiers se croyant à l’abri de l’infortune sans remarquer qu’ils étaient dirigés par l’odeur des billets, qu’ils n’existaient que par leurs victoires et leurs millions. Il ricanait silencieusement tandis que les yeux révulsés des joueurs surveillaient les cartes et les jetons, tandis qu’ils suaient dans la vapeur de l’alcool et essuyaient leurs mains moites sur leur pantalon. Ils se croyaient tout-puissants mais n’étaient que des poissons suffoquant hors de l’eau, affamés de sensations fortes, vides comme des coquilles mortes.
Antonio, lui, était libre. Sa prestance et son charisme avaient dissimulé à tous le fait qu’il ne prenait jamais part aux jeux et restait toujours en tant que simple observateur. Il savait observer avec discrétion, et son regard jamais ne pesait sur les épaules des gens.
Ainsi James Winievsky ne le vit-il que juste avant qu’Antonio, lassé de l’ambiance intérieure du Casino, ne le plaquât contre un mur de l’arrière-cours déserte de l’établissement.
« Mon... Monsieur Vendini ! souffla-t-il en haletant.
- Hélas, mon cher James.
- Je... ne pensais pas vous revoir si tôt... S’il vous plaît, lâchez-moi !
- De quoi avez-vous peur ? Auriez-vous commis un délit ? Peut-être... un très fâcheux manquement à ma confiance ?
- Je vous en prie... Vous n’êtes pas sérieux, il y a des gardes tout près d’ici.
- A la bonne heure, James, ainsi chacun saura, et c’est une excellente chose ; qu’on n’abuse pas aussi facilement de la bonhomie d’Antonio Vendini.
- Je vous en supplie, couinait l’homme tandis qu’Antonio resserrait ses doigts autour de sa gorge, laissez-moi encore un peu de temps, juste quelques semaines...
- Attendre m’ennuie, attendre me fatigue, James, vous le savez. J’aime vivre au maximum, vous comprenez ? Je vous ai laissé le temps qu’il fallait. Je vous ai prévenu à plusieurs reprises. Lequel de nous deux n’est pas sérieux ?
- Vous... ils vous soupçonneront... Vous ne vous en sort...
- Admettons qu’ils me soupçonnent, James... Dans un cas de figure, vous êtes mort, et je serai hors d’atteinte. Voyons ! Vous n’êtes pas sans savoir que j’ai le bras assez long, et qu’aucun procureur ne résiste à une petite avance d’Antonio Vendini en échange de sa liberté. Et si jamais vous restez en vie... Alors chacun saura toute la vérité sur vous... Cette relation plus que malsaine avec votre nièce, les fonds du projet Preston de votre entreprise... Ah ! Quelle humiliation face à vos clients et aux médias ! Tout aurait été tellement plus simple si vous aviez simplement pris la peine de me rembourser la dette que vous me deviez.
- Je... Comment... Je ne vois pas de quoi vous parlez, Antonio ! Lâchez-moi ! Je vais appeler, je...
- Oh, faites ça, James, et ce sera sans doute le dernier son que vous émettrez de votre vie. »
Le pauvre James Winievsky gémissait et se tortillait, tentant d’échapper à l’étreinte d’Antonio Vendini qui le regardait froidement. Son teint écarlate vira au blanc lorsqu’il le vit sortir un poignard court et fin d’un étui fixé à la doublure intérieure de sa veste.
« S... S’il vous plaît ... Ne faites pas ça...
- Allons, silence ! Ne gaspillez plus votre salive. Votre heure est passée.
- Je... Je vous... rendrai votre argent, je vous le jure... S’il vous plait... Laissez-moi un peu de temps.
- Cela fait déjà trop de temps, James. De plus, vos bavardages incessants gâchent ma soirée. Je vous demanderais de faire silence. »
En un éclair, la lame disparu dans la gorge de l’homme suppliant. Ce dernier, l’espace de quelques secondes, afficha une expression à la fois ébahie et terrifiée, avant de s’écrouler de tout son long sur le bitume.
Boris, qui n’en pouvait plus, avait décidé de sortir prendre l’air quelques minutes en attendant que Clare, qui venait de finir son service, ait terminé de se changer. Il admirait au loin l’amoncellement de nuages noirs qui grondaient, en s’illuminant parfois, et devinait un rideau de pluie torrentielle qui fracassait les toits des lointains immeubles. Le noir du début de la nuit le faisait frissonner. Il avait hâte de rentrer avec Clare. Le vendredi soir, ils avaient une sorte de rituel : pendant que Clare se douchait, Boris allait acheter des calzones et ils regardaient ensemble quelques épisodes d’une série humoristique : Zach et Stanislas.
Puis il la raccompagnait chez elle et revenait se coucher. Toujours, il laissait les volets entrouverts, de façon à être naturellement éveillé par le soleil du matin, très tôt en cette période estivale, et de pouvoir ensuite observer l’inertie de la ville endormie. La pesanteur de l’air, le vent mollasson et les quelques nuages cotonneux qui parsemaient l’hôrizon gris clair.
Du le veston de l’homme mort, Antonio préleva une épaisse liasse de billets de banque puis se releva, un petit sourire satisfait aux lèvres. Il enjamba le corps de la victime et se dirigea, l’expression totalement neutre, vers la porte d’entrée du Casino. Là, après avoir salué l’ensemble de ses connaissances, il appela ses acolytes et tous trois se dirigèrent vers la limousine.
Avant de monter, Antonio regarda l’orage au loin. Des frissons d’excitation lui parcouraient l’échine lorsque les éclairs éblouissants déchiraient la nuit, cette nuit dans laquelle il savait si bien se fondre. Il vit alors un homme. Ou plutôt une moitié d’homme, un être apeuré et insignifiant. Vêtu d’un simple tee-shirt blanc et d’un pantalon en jean, il aborait une longue chevelure noire qui lui descendait jusqu’au milieu du dos. Lorsqu’il se retourna, son regard croisa celui d’Antonio. Inexplicablement, celui-ci se sentit alors rempli d’exaspération et de mépris.
Il connaissait cet homme ! Serait-ce réellement celui-ci, ce... Comment déjà, Maurice, non ; Boris, dont parlaient les médias, celui qui dirigeait les actions niaises et humanistes pullulaient dans la ville ces temps-ci ? C’était bien lui. Pour le moment, il était trop tôt et Antonio avait d’autres chats à fouetter. Mais viendrait un moment où il s’occuperait de son cas.
Lorsque Boris aperçu Antonio Vendini, il comprit immédiatement à qui il avait affaire. Le regard de l’homme le glaçait sur place et l’emplissait d’effroi. Il sentait toutefois qu’il ne laissait pas non plus l’homme indifférent. Puis il se souvint : il l’avait déjà vu dans le journal, Antonio Vendini, un homme riche et mystérieux qui se jouait de l’autorité. On le soupçonnait d’avoir des liens avec la mafia, mais curieusement, il n’avait jamais été inquiété. Et pourtant, Boris sentait que sa présence mettait l’homme mal à l’aise. Il eut alors l’intuition qu’un jour, ils se reverraient.
La limousine roulait, à une vitesse excessive, en direction des buildings de la cité criblée de lumières artificielles. Antonio Vendini, par la fenêtre entrouverte, admirait le panorama, cet « empilement de viande humaine » qui s’étalait devant eux.
Il glissa la main dans la poche de son veston et en sortit les billets de banques volés sur le cadavre de James Winievsky. De son doigt ganté, il les compta tranquillement. Cela avait été une bonne soirée, une soirée constructive. Le lendemain, il ne manquerait pas d’entendre parler du meurtre mystérieux survenu à l’Atlantis Casino Resort. On le soupçonnerait sans doute. Mais cela n’avait pas d’importance. Antonio le savait ; dans peu de temps, les scandales liés à la vie cachée de James éclateraient au grand jour, et deviendraient d’un intérêt bien plus grand aux yeux des hommes que le responsable de sa mort. Chacun s’offusquerait, chacun critiquerait et jugerait. Mais Antonio les avait vus, eux, leurs veines qui battaient dans leur cou, leurs yeux révulsés lorsqu’ils lançaient la roulette, leurs sourires effrayants et fiévreux. Ils étaient tous pareils. Il revit alors le visage de Boris et de nouveau, une vague d’exaspération le poussa à l’effacer bien vite de sa mémoire. Dans sa main, l’épaisse liasse de billets semblait vibrer de sa propre victoire, ce qui le fit sourire.
Puis, dans un grand éclat de rire, il les laissa s’envoler comme des papillons par la fenêtre de la voiture, lancée à pleine vitesse, et les regarda disparaître dans la nuit.
De ce côté-ci, la vie nocturne palpitait, s’éveillait et englobait la ville de son ambiance électromagnétique. Les enseignes du Casino défiaient l’obscurité des étoiles de leurs lueurs criardes. Au loin, on devinait un orage, sublime déchirement de la voûte céleste, retour à zéro.
Ses pas claquaient, agressaient le marbre rigide des marches de la terrasse. Il marchait le buste droit, animé d’une détermination glaciale, la tête haute, sans jeter le moindre regard autour de lui. À ses côtés, deux hommes en noir le suivaient, impassibles.
De ses deux bras tendus devant lui, il ouvrit les portes battantes avec force. Quelques personnes surprises se retournèrent, dévisagèrent vaguement, oublièrent. Un petit sourire illumina son visage d’une lueur indéchiffrable.
« Mesdames, Messieurs, bien le bonsoir ! Ah, Lester, vous voilà ! Votre oncle est-il déjà arrivé ? Non, je suppose, il aura préféré régler d’abord ses affaires de dernière minute... Un homme très sérieux, très professionnel.
- Bonsoir, Monsieur Vendini, répondit un jeune homme mal à l’aise, trop serré dans son costume trois pièces. C’est exact, Monsieur Winievsky m’a signalé qu’il n’arriverait que d’ici trois quarts d’heure.
- C’est parfait, parfait ! Je vais me mettre à l’aise et suivre une de ces passionnantes parties de poker.
- Bien, Monsieur Vendini. Je vous préviendrai immédiatement de l’arrivée de mon oncle, Monsieur Vendini. »
Lester s’en alla d’un pas maladroit, cachant difficilement son envie de fuir le plus loin et le plus vite possible du nouveau venu. Antonio Vendini, d’un geste sec, donna congé à ses deux accompagnateurs. Son regard balaya alors lentement l’ensemble de la salle. Un endroit tel que ce casino représentait à ses yeux un intérêt certain pour l’étude du genre humain. Il ne lui fallut que quelques secondes pour choisir une table.
Clare transpirait. Ses mèches noires et lisses retombaient sans cesse sur son beau visage, la fumée des cigares lui montait à la tête et lui donnait envie de tousser.
« Boris, je suis désolée. T’attends encore un peu, hein, tu veux bien ? Tu veux ?
- Bien sûr, ne t’inquiète pas, Clare, je ne partirai pas sans toi.
- Il m’a dit, le patron, que Lisa viendrait pas ce soir. Alors je dois encore bosser un peu, tu sais, pas longtemps hein, t’inquiète ! »
Boris s’éloigna comme une ombre et se retira dans un coin plus calme de la salle de jeu. Ce bruit, ces fumées, ces rires et ces cris de triomphe l’effrayaient. Comme son amie Clare, il n’était qu’un insecte indésirable qu’on repérait et qu’on écrasait lorsqu’il s’avançait, trop téméraire, sur ce tapis de velours rouge vif ; et souhaitait simplement rester dans sa prison d’obscurité rassurante.
De son côté, Clare n’avait de cesse de remplir les verres de scotch, de frotter le bois lustré du comptoir, de répondre aux demandes impatientes des clients éméchés et grisés par le jeu.
Antonio Vendini jubilait. Personne ne l’avait remarqué lorsqu’il s’était assis à une des tables de poker, suffisamment en retrait pour rester discret mais suffisamment proche pour ne rien rater du jeu des protagonistes. Dans sa maîtrise parfaite des mouvements et de la psychologie humaine, il analysait les mimiques des visages, les gestes frénétiques des mains, les battements des veines dans le cou des joueurs.
L’Atlantis Casino Resort. Il aimait ces lieux de péchés où, selon lui, la véritable nature de chacun était mieux représentée que jamais. L’hypocrisie. Elle perlait sur le front de ces gros bonhommes en costume, dégoulinait de leurs propos. La suffisance. Elle fusait de leurs rires, de leurs grosses montres en or qui enserraient leurs poignets gras. Le mépris. Dans leur façon de donner congé aux serveurs d’un geste désinvolte de la main, sans leur accorder la moindre attention. De jeter des regards lubriques à l’arrière-train des escort-girls, puis de se lancer ces clins d’œil entre eux en disant « Celle-là, une bonne fessée, c’est tout ce qu’elle mérite. ».
Mais surtout, oui surtout, leur addiction. Jamais Antonio ne se sentait plus vivant que lorsqu’il observait ces hommes prisonniers du jeu, de riches financiers se croyant à l’abri de l’infortune sans remarquer qu’ils étaient dirigés par l’odeur des billets, qu’ils n’existaient que par leurs victoires et leurs millions. Il ricanait silencieusement tandis que les yeux révulsés des joueurs surveillaient les cartes et les jetons, tandis qu’ils suaient dans la vapeur de l’alcool et essuyaient leurs mains moites sur leur pantalon. Ils se croyaient tout-puissants mais n’étaient que des poissons suffoquant hors de l’eau, affamés de sensations fortes, vides comme des coquilles mortes.
Antonio, lui, était libre. Sa prestance et son charisme avaient dissimulé à tous le fait qu’il ne prenait jamais part aux jeux et restait toujours en tant que simple observateur. Il savait observer avec discrétion, et son regard jamais ne pesait sur les épaules des gens.
Ainsi James Winievsky ne le vit-il que juste avant qu’Antonio, lassé de l’ambiance intérieure du Casino, ne le plaquât contre un mur de l’arrière-cours déserte de l’établissement.
« Mon... Monsieur Vendini ! souffla-t-il en haletant.
- Hélas, mon cher James.
- Je... ne pensais pas vous revoir si tôt... S’il vous plaît, lâchez-moi !
- De quoi avez-vous peur ? Auriez-vous commis un délit ? Peut-être... un très fâcheux manquement à ma confiance ?
- Je vous en prie... Vous n’êtes pas sérieux, il y a des gardes tout près d’ici.
- A la bonne heure, James, ainsi chacun saura, et c’est une excellente chose ; qu’on n’abuse pas aussi facilement de la bonhomie d’Antonio Vendini.
- Je vous en supplie, couinait l’homme tandis qu’Antonio resserrait ses doigts autour de sa gorge, laissez-moi encore un peu de temps, juste quelques semaines...
- Attendre m’ennuie, attendre me fatigue, James, vous le savez. J’aime vivre au maximum, vous comprenez ? Je vous ai laissé le temps qu’il fallait. Je vous ai prévenu à plusieurs reprises. Lequel de nous deux n’est pas sérieux ?
- Vous... ils vous soupçonneront... Vous ne vous en sort...
- Admettons qu’ils me soupçonnent, James... Dans un cas de figure, vous êtes mort, et je serai hors d’atteinte. Voyons ! Vous n’êtes pas sans savoir que j’ai le bras assez long, et qu’aucun procureur ne résiste à une petite avance d’Antonio Vendini en échange de sa liberté. Et si jamais vous restez en vie... Alors chacun saura toute la vérité sur vous... Cette relation plus que malsaine avec votre nièce, les fonds du projet Preston de votre entreprise... Ah ! Quelle humiliation face à vos clients et aux médias ! Tout aurait été tellement plus simple si vous aviez simplement pris la peine de me rembourser la dette que vous me deviez.
- Je... Comment... Je ne vois pas de quoi vous parlez, Antonio ! Lâchez-moi ! Je vais appeler, je...
- Oh, faites ça, James, et ce sera sans doute le dernier son que vous émettrez de votre vie. »
Le pauvre James Winievsky gémissait et se tortillait, tentant d’échapper à l’étreinte d’Antonio Vendini qui le regardait froidement. Son teint écarlate vira au blanc lorsqu’il le vit sortir un poignard court et fin d’un étui fixé à la doublure intérieure de sa veste.
« S... S’il vous plaît ... Ne faites pas ça...
- Allons, silence ! Ne gaspillez plus votre salive. Votre heure est passée.
- Je... Je vous... rendrai votre argent, je vous le jure... S’il vous plait... Laissez-moi un peu de temps.
- Cela fait déjà trop de temps, James. De plus, vos bavardages incessants gâchent ma soirée. Je vous demanderais de faire silence. »
En un éclair, la lame disparu dans la gorge de l’homme suppliant. Ce dernier, l’espace de quelques secondes, afficha une expression à la fois ébahie et terrifiée, avant de s’écrouler de tout son long sur le bitume.
Boris, qui n’en pouvait plus, avait décidé de sortir prendre l’air quelques minutes en attendant que Clare, qui venait de finir son service, ait terminé de se changer. Il admirait au loin l’amoncellement de nuages noirs qui grondaient, en s’illuminant parfois, et devinait un rideau de pluie torrentielle qui fracassait les toits des lointains immeubles. Le noir du début de la nuit le faisait frissonner. Il avait hâte de rentrer avec Clare. Le vendredi soir, ils avaient une sorte de rituel : pendant que Clare se douchait, Boris allait acheter des calzones et ils regardaient ensemble quelques épisodes d’une série humoristique : Zach et Stanislas.
Puis il la raccompagnait chez elle et revenait se coucher. Toujours, il laissait les volets entrouverts, de façon à être naturellement éveillé par le soleil du matin, très tôt en cette période estivale, et de pouvoir ensuite observer l’inertie de la ville endormie. La pesanteur de l’air, le vent mollasson et les quelques nuages cotonneux qui parsemaient l’hôrizon gris clair.
Du le veston de l’homme mort, Antonio préleva une épaisse liasse de billets de banque puis se releva, un petit sourire satisfait aux lèvres. Il enjamba le corps de la victime et se dirigea, l’expression totalement neutre, vers la porte d’entrée du Casino. Là, après avoir salué l’ensemble de ses connaissances, il appela ses acolytes et tous trois se dirigèrent vers la limousine.
Avant de monter, Antonio regarda l’orage au loin. Des frissons d’excitation lui parcouraient l’échine lorsque les éclairs éblouissants déchiraient la nuit, cette nuit dans laquelle il savait si bien se fondre. Il vit alors un homme. Ou plutôt une moitié d’homme, un être apeuré et insignifiant. Vêtu d’un simple tee-shirt blanc et d’un pantalon en jean, il aborait une longue chevelure noire qui lui descendait jusqu’au milieu du dos. Lorsqu’il se retourna, son regard croisa celui d’Antonio. Inexplicablement, celui-ci se sentit alors rempli d’exaspération et de mépris.
Il connaissait cet homme ! Serait-ce réellement celui-ci, ce... Comment déjà, Maurice, non ; Boris, dont parlaient les médias, celui qui dirigeait les actions niaises et humanistes pullulaient dans la ville ces temps-ci ? C’était bien lui. Pour le moment, il était trop tôt et Antonio avait d’autres chats à fouetter. Mais viendrait un moment où il s’occuperait de son cas.
Lorsque Boris aperçu Antonio Vendini, il comprit immédiatement à qui il avait affaire. Le regard de l’homme le glaçait sur place et l’emplissait d’effroi. Il sentait toutefois qu’il ne laissait pas non plus l’homme indifférent. Puis il se souvint : il l’avait déjà vu dans le journal, Antonio Vendini, un homme riche et mystérieux qui se jouait de l’autorité. On le soupçonnait d’avoir des liens avec la mafia, mais curieusement, il n’avait jamais été inquiété. Et pourtant, Boris sentait que sa présence mettait l’homme mal à l’aise. Il eut alors l’intuition qu’un jour, ils se reverraient.
La limousine roulait, à une vitesse excessive, en direction des buildings de la cité criblée de lumières artificielles. Antonio Vendini, par la fenêtre entrouverte, admirait le panorama, cet « empilement de viande humaine » qui s’étalait devant eux.
Il glissa la main dans la poche de son veston et en sortit les billets de banques volés sur le cadavre de James Winievsky. De son doigt ganté, il les compta tranquillement. Cela avait été une bonne soirée, une soirée constructive. Le lendemain, il ne manquerait pas d’entendre parler du meurtre mystérieux survenu à l’Atlantis Casino Resort. On le soupçonnerait sans doute. Mais cela n’avait pas d’importance. Antonio le savait ; dans peu de temps, les scandales liés à la vie cachée de James éclateraient au grand jour, et deviendraient d’un intérêt bien plus grand aux yeux des hommes que le responsable de sa mort. Chacun s’offusquerait, chacun critiquerait et jugerait. Mais Antonio les avait vus, eux, leurs veines qui battaient dans leur cou, leurs yeux révulsés lorsqu’ils lançaient la roulette, leurs sourires effrayants et fiévreux. Ils étaient tous pareils. Il revit alors le visage de Boris et de nouveau, une vague d’exaspération le poussa à l’effacer bien vite de sa mémoire. Dans sa main, l’épaisse liasse de billets semblait vibrer de sa propre victoire, ce qui le fit sourire.
Puis, dans un grand éclat de rire, il les laissa s’envoler comme des papillons par la fenêtre de la voiture, lancée à pleine vitesse, et les regarda disparaître dans la nuit.