En arrivant à la Place Bellecour, jamais je n’aurais imaginé ce lieu aussi marquant dans ma vie. J’y étais allé pour voir le tournoi de boules par une journée d’été ensoleillée, sans nuage, qui me rappelait le Sud de la France, mon pays, ma Terre natale. Certes, le gravier de la place n’était pas le même que là-bas, mais ce jour-ci, ses arbres ressemblaient tant aux platanes que j’avais l’impression d’entendre chanter les cigales. Je me sentais bien. Je me mis à regarder la statue de Louis XIV, puis les joueurs. Je compris enfin la signification des symboles des Rois de France : ils ne portaient pas un sceptre mais un mètre et non pas un globe mais une boule de pétanque.
Bref, c’était une place classique. Elle grouillait de gens, d’origines et d’apparences différentes. J’allais et venais, écoutant les conversations d’une oreille distraite :
« Bon, je tire ou je pointe ?
-Voyons, M. Brun, un point comme ça, ça se tire !
-Vraiment ? Oh, j’oubliais… Et comment va votre ami Landolfi ?
-Oh pauvre ! Ne m’en parlez pas ! Je l’ai perdu…
-Ah… je suis désolé…
-Mais non, espèce de mangiapan ! Je l’ai perdu dans la foule. »
Tandis que, au beau milieu de la rue, un conducteur interpellait deux hommes qui jouaient :
« Oh vous vous dépêchez de le jouer ce point ? J’aimerais passer, moi.
-Eh, du calme, d’accord ? Tu passeras quand on aura mesuré. Les boules, ça se joue avé cir-con-spec-tion. »
Je balayais cette scène du regard –elle m’était commune, venant de Marseille– lorsque mes yeux s’arrêtèrent sur un des spectacles les plus charmants du monde.
Elle avait les yeux verts, les cheveux bruns et le teint d’une femme vivant au bord de la Méditerranée. Pour peu qu’elle s’eut été appelée Fanny, je l’épousais. Mais, il y avait un mais, elle semblait cacher quelque chose ou quelqu’un dans son dos. J’aurais mieux fait de m’abstenir de regarder. À première vue, cela tenait plus du quelque chose que du quelqu’un. Un petit personnage se tenait aux côtés de MA Marseillaise ! Il devait faire environ un mètre trente avec les chaussures, était tout rabougri et extrêmement laid. J’ai pensé que c’était peut-être le père de la fille. Ou bien un arrière grand-père. Un parent éloigné qui avait subi des effets radioactifs. Ou alors, comble de l’horreur, un Parisien. De plus il était chauve et, à chacun de ses mouvements, ses yeux s’illuminaient d’une bêtise démoniaque.
Comment une union aussi absurde s’était-elle créée ? La jeune femme me regarda. C’était un regard tendre, doux et apaisant. Je ressentis un pincement au coeur et un choc dans ma tête. Le coup de foudre ! Je m’écroulai à terre, inconscient, un sourire satisfait aux lèvres. Je ne sus combien de temps j’étais resté allongé. Cinq minutes, dix ou même plus.
Je fis un effort surhumain pour ouvrir à moitié les paupières –les ouvrir en entier m’aurait achevé. Quelqu’un me tenait la tête. C’étaient des mains rugueuses, désagréables au toucher.
Cela devait être mon rival. Une autre paire de mains m’auscultait. Des mains douces, emplies d’amour et de tendresse. Ce devait être ma Marseillaise. J’arrivais à distinguer des formes étranges, sensées représenter des gens. Deux personnes parlaient :
« Je vous avais bien dit que je n’aurais pas dû tirer. Regardez ce que j’ai fait : on a perdu le point !
-Môssieu Brun, mettriez-vous en doute mes qualités de joueur de boules ? Nous avons gagné la partie !
-Nous devrions tout de même aller mesurer.
-Si ça peut vous rassurer… »
Quelqu’un les interpella :
« Eh, venez nous aider, vous deux. C’est vous les responsables de cet accident. »
Le dénommé Brun dit à son partenaire :
« Vous voyez, même le Monsieur est d’accord avec moi ! Il dit que nous n’avons pas le point.
-Ah oui, vous avez raison, répondit l’autre, il faut le rejouer, personne ne l’a. »
Pour ma part, je gisais toujours à terre. Qui était cette personne qui m’auscultait ? Je m’évanouis de nouveau et finis par arriver à l’hôpital.
Je me réveillai pour de bon, cette fois. Ma Marseillaise était là. Elle était habillée en infirmière. Elle me dit qu’elle était restée toute la nuit à mon chevet. Nous parlâmes un petit moment ensemble. Je lui demandai si c’était elle qui m’avait prodigué les premiers soins. Elle ne me répondit pas mais mit la main sur mon front pour prendre ma température. Sa paume était rugueuse, désagréable au toucher. La porte de ma chambre s’ouvrit :
« Bonjour docteur Francanstin, lança mon infirmière en direction de la porte. »
Etait-elle folle ? Dire bonjour passait encore, mais à une porte, tout de même. Le plus étrange fut que la porte lui répondit. Etais-je devenu fou à mon tour ? Puis la porte me dit bonjour à moi aussi. Je ne pouvais que répondre. Le morceau de bois engagea alors la conversation. Je baissai la tête : c’était le petit bonhomme de la place Bellecour. Il me dit :
« Oh peuchère, on peut dire que vous en avez eu de la chance. »
Et les cigales se remirent à chanter.
Bref, c’était une place classique. Elle grouillait de gens, d’origines et d’apparences différentes. J’allais et venais, écoutant les conversations d’une oreille distraite :
« Bon, je tire ou je pointe ?
-Voyons, M. Brun, un point comme ça, ça se tire !
-Vraiment ? Oh, j’oubliais… Et comment va votre ami Landolfi ?
-Oh pauvre ! Ne m’en parlez pas ! Je l’ai perdu…
-Ah… je suis désolé…
-Mais non, espèce de mangiapan ! Je l’ai perdu dans la foule. »
Tandis que, au beau milieu de la rue, un conducteur interpellait deux hommes qui jouaient :
« Oh vous vous dépêchez de le jouer ce point ? J’aimerais passer, moi.
-Eh, du calme, d’accord ? Tu passeras quand on aura mesuré. Les boules, ça se joue avé cir-con-spec-tion. »
Je balayais cette scène du regard –elle m’était commune, venant de Marseille– lorsque mes yeux s’arrêtèrent sur un des spectacles les plus charmants du monde.
Elle avait les yeux verts, les cheveux bruns et le teint d’une femme vivant au bord de la Méditerranée. Pour peu qu’elle s’eut été appelée Fanny, je l’épousais. Mais, il y avait un mais, elle semblait cacher quelque chose ou quelqu’un dans son dos. J’aurais mieux fait de m’abstenir de regarder. À première vue, cela tenait plus du quelque chose que du quelqu’un. Un petit personnage se tenait aux côtés de MA Marseillaise ! Il devait faire environ un mètre trente avec les chaussures, était tout rabougri et extrêmement laid. J’ai pensé que c’était peut-être le père de la fille. Ou bien un arrière grand-père. Un parent éloigné qui avait subi des effets radioactifs. Ou alors, comble de l’horreur, un Parisien. De plus il était chauve et, à chacun de ses mouvements, ses yeux s’illuminaient d’une bêtise démoniaque.
Comment une union aussi absurde s’était-elle créée ? La jeune femme me regarda. C’était un regard tendre, doux et apaisant. Je ressentis un pincement au coeur et un choc dans ma tête. Le coup de foudre ! Je m’écroulai à terre, inconscient, un sourire satisfait aux lèvres. Je ne sus combien de temps j’étais resté allongé. Cinq minutes, dix ou même plus.
Je fis un effort surhumain pour ouvrir à moitié les paupières –les ouvrir en entier m’aurait achevé. Quelqu’un me tenait la tête. C’étaient des mains rugueuses, désagréables au toucher.
Cela devait être mon rival. Une autre paire de mains m’auscultait. Des mains douces, emplies d’amour et de tendresse. Ce devait être ma Marseillaise. J’arrivais à distinguer des formes étranges, sensées représenter des gens. Deux personnes parlaient :
« Je vous avais bien dit que je n’aurais pas dû tirer. Regardez ce que j’ai fait : on a perdu le point !
-Môssieu Brun, mettriez-vous en doute mes qualités de joueur de boules ? Nous avons gagné la partie !
-Nous devrions tout de même aller mesurer.
-Si ça peut vous rassurer… »
Quelqu’un les interpella :
« Eh, venez nous aider, vous deux. C’est vous les responsables de cet accident. »
Le dénommé Brun dit à son partenaire :
« Vous voyez, même le Monsieur est d’accord avec moi ! Il dit que nous n’avons pas le point.
-Ah oui, vous avez raison, répondit l’autre, il faut le rejouer, personne ne l’a. »
Pour ma part, je gisais toujours à terre. Qui était cette personne qui m’auscultait ? Je m’évanouis de nouveau et finis par arriver à l’hôpital.
Je me réveillai pour de bon, cette fois. Ma Marseillaise était là. Elle était habillée en infirmière. Elle me dit qu’elle était restée toute la nuit à mon chevet. Nous parlâmes un petit moment ensemble. Je lui demandai si c’était elle qui m’avait prodigué les premiers soins. Elle ne me répondit pas mais mit la main sur mon front pour prendre ma température. Sa paume était rugueuse, désagréable au toucher. La porte de ma chambre s’ouvrit :
« Bonjour docteur Francanstin, lança mon infirmière en direction de la porte. »
Etait-elle folle ? Dire bonjour passait encore, mais à une porte, tout de même. Le plus étrange fut que la porte lui répondit. Etais-je devenu fou à mon tour ? Puis la porte me dit bonjour à moi aussi. Je ne pouvais que répondre. Le morceau de bois engagea alors la conversation. Je baissai la tête : c’était le petit bonhomme de la place Bellecour. Il me dit :
« Oh peuchère, on peut dire que vous en avez eu de la chance. »
Et les cigales se remirent à chanter.