La revanche de Brochaigu.
La plaine entière dormait. Le ciel était d'un bleu foncé immaculé, sans nuages, au centre duquel brillait une demi-lune d'or. Mulgore était silencieuse. Les dernières rumeurs des Pitons du Tonnerre s'atténuèrent dès les premières ombres de la nuit, tandis qu'au sud, à Sabot-de-Sang, les dernières braises du feu de joie mouraient paisiblement. Dehors, les loups rentraient à leur tanière, les trotteurs des plaines se regroupaient à leur nid, les rapaces rejoignaient leur repère et les kodos se blotissaient contre leur matriarche. Même les harpies, qui faisaient habituellement un raffut cacophonique et suraigu pour tel ou tel morceau de viande, étaient endormies (ce qui veut dire qu'elles avaient soit mangé chacune la même part, soit étriper l'une d'entre elles pour rééquilibrer la balance).
Bref, tout Mulgore dormait cette nuit-là. Taurens, loups, pumas, kodos, volaille, harpies...
A mi-chemin entre les hautes cimes des Pitons du Tonnerres et le village de Sabot-de-Sang,n non loin de la route, deux silhouettes se détachaient légèrement de l'ombre. La premi§re, nettement plus petite et plus frêle, était un trotteur des plaines. Son corps élancé et gracieux (pour sa race) était recouvert d'un plumage gris, qui virait brutalement au rouge vif à sa tête. Il était endormi, mais sa capacité à dormir debout suffisait à éloigner les intrus. Ou à les faire rire (tout est relatif).
La seconde silhouette était un Tauren. Il était glorieusement affalé sur le dos, sa tête reposant sur sa cape enroulée sur elle-même. Il était en armure complète d'adamantite serrée, dont émanait à certains recoins une lueur bleue. Son tabard noir enveloppait son torse et son dos, et descendait devant et derrière jusqu'aux genoux. En son centre était brodé l'emblème d'or des Soleils Brisés, la coalition de Sin'dorei et de Dreanei qui oeuvrait au nord de Quel'Thalas contre l'invasion perpétuelle de la Légion Ardente.
Sur le col du tabard, en or également, était brodé le nom de son possesseur : Grosmanu, chasseur Tauren.
A la droite du Tauren gisaient son sac, et ses armes : son épée, offert par Cairne, le chef du peuple Tauren, sa hache, «empruntée» à un Seigneur Démon qui la cherche encore, et son bijou de famille : son fusil à répétition en khorium concentré avec fonction, qu'il avait lui-même fabriqué.
Ainsi dormait Mulgore. Lorsque les premiers rayons de l'aube percèrent enfin le drap sombre qui recouvrait le ciel, l'épée de Grosmanu se mit à luire d'une douce lumière bleutée. Dans le même temps, le trotteur se figea, comme pétrifié par un basilic de cristal. Puis il se recroquevilla, rentrant la tête et bombant la poitrine et hurla : «COCORICOOOOOOOOOOO !!!». La réponse du Tauren fut brève et précise : «Ta gueule Georges» lança-t-il sans daigner broncher. Georges se renfrogna, mais Grosmanu se rendit compte qu'il était temps de se lever. Il fit un effort surhumain pour ouvrir les yeux. Il en fit un second encore plus meurtrier pour se lever. Le chasseur ramassa son équipement, rengaina ses lames, rattacha sa cape, enfila son sac, plaça son fusil en bandoulière et s'étira dans un mugissement discret, et se mit en route.
Il se dirigeait en compagnie de son trotteur familier vers le sud du territoire, en passant par Sabot-de-Sang, à destination de la Mesa des Nuages Rouges. Grosmanu était en Outre-Terre quand il avait reçu un message de Baine, lui demandant de rappliquer au plus vite à Mulgore, car un clan de Tranchecrins installé au sud de la région commençait à devenir contraignant. Un courrier avait donc été dépêché à Garadar en Nagrand, où Grosmanu vendait quelques services dans le but de s'acheter quelque monture exotique, afin d'enrichir son monstrueux ego.
Les Tranchecrins étaient des hybrides, un peu comme les Gnolls. Mais ce que le Gnoll a de la hyène, le Tranchecrin le tire du cochon.
Le Tauren, revenu à Kalimdor en vitesse, s'était retrouvé à Orgrimmar grâce au premier portail magique qu'il avait pu trouver. Il avait donc fait un voyage interminable vers Mulgore depuis Durotar en wywern en passant par la capitale, mais il avait décidé de s'arrêter en chemin pour la nuit.
Grosmanu avait donc repris son trajet, Georges marchant docilement à ses côtés, et comptait en finir au plus vite avec les Tranchecrins, d'une part parce qu'il n'aimait pas ces faces de truies déshydratées, d'autre part parce qu'il avait l'intention fidèle de protéger sa patrie.
Il atteignit Sabot-de-Sang en fin de matinée, comme prévu. Baine l'y attendait déjà, venant à sa rencontre immédiatement. «Tu m'attendais ? lui lança le chasseur.
-Plus que jamais, répondit Baine Sabot-de-Sang, la situation nous échappe.
Il se saluèrent selon la tradition taurène, la main droite à plat sur le coeur, et reprirent le chemin vers le village. «Sabot-de-Sang n'a pas encore été victime d'attaques, reprit Baine, mais le camp Narache est clairement en difficulté.
-Des morts ?
-Non, des vols seulement. De la nourriture, des vêtements et des armes.
-Des vêtements ? pouffa Grosmanu. On est deux fois plus grands qu'eux, qu'est-ce qu'ils fabriquent avec nos fringues ? Des tentes ?
-Exactement, répliqua sérieusement Baine, bien que l'humour du chasseur n'empêcha pas un sourire. Des tentes.
-Alors ils préparent une tête de pont. Grosmanu fronça les sourcils. T'en penses quoi Georges ?
-Côt ?
-Evidemment...»
Baine réprima un rire.
Le trio traversa le pont qui enjambait le lac Taureau-de-Pierre et qui menait directement à Sabot-de-Sang sans avoir à contourner l'étendue d'eau claire. Plusieurs anciennes connaissances de Gros s'étaient accumulées devant l'entrée du village. Grosmanu était célèbre en Azeroth. Il avait voyagé partout, de Silithus à l'Outre-Terre en passant par Norfendre et Strangleronce. Il s'était même rendu discrètement à Hurlevent car il avait eu vent d'une émeute au sein de la capitale des humains.
Les applaudissements se firent entendre. Grosmanu reconnut plusieurs camarades qu'il avait croisés au cours de ses périples.
Il se résigna à prendre un court repos à Sabot-de-Sang, prenant le déjeuné dans la tente de Baine. «Sinon les Tranchecrins ne sont pas si dérangeants que ça ? demanda le chasseur.
-Pour l'instant non, mais il semblerait que les Hurans ne soient pas revenus dans des intentions amicales. Ils n'ont mené que des raids de pillage durant plusieurs nuits et ont perdu bon nombre des leurs. Les raids se font de moins en moins rares et se rapprochent de plus en plus de l'attaque suicide. Mais j'ai bien peur qu'ils ne préparent quelque chose au fin fond de leur tanière. Cependant, les Hurans...
-Des Hurans ? Mais on m'a dit des Tranchecrins ! s'exclama Grosmanu. Pas vrai Georges ?
-Côt ?
-Absolument. Tu vois ? Même lui il l'affirme.
Baine soupira. «Je te réexplique : le Tranchecrin c'est le nom de la race, et le clan qui a rappliqué c'est des Hurans.
-Aaaah mais fallait le dire plus tôt !
-Bref je disais que...
-Attends mais, coupa le chasseur, j'ai déjà entendu le nom Huran quelque part.
-Oui dans cette tente-même il y a dix secondes seulement.
-Ah bon ? Ah oui c'est vrai. Mais je veux dire que ça me rappelle un truc. J'avais pas buté leur patron une fois ?
La remarque de Grosmanu était pertinente. «Bien vu, admit Baine. Je n'avais pas pensé à ça.
-Je m'en souviens ! Brochaigu ! C'était il y a bien longtemps dans un trou à cochons lointain... Pas vrai Georges ?
-Côcôt ?
-Ah oui j'te connaissais pas à l'époque.
-En fait, reprit Baine, je crois me rappeler que tu avais tué Brochaigu et dissout son clan.
-Bah oui, même dissout ses membres dans tous les sens du terme... Et Brochaigu, je me souviens avoir méthodiquement éclaté sa tête contre un gros rocher.
-C'est fort possible. Mais ça n'explique pas comment il est arrivé à revenir d'entre les morts !
-Bah la nécromancie chez ces crétins mal rasés c'est courant, expliqua Grosmanu. Ils pratiquent plusieurs sortes de magie, quelque soit le clan. Rappelle-toi aux Tarides... Comment ça s'appelait déjà... Les Souilles de Tranchebauge ?
-Oui c'est vrai, ils étaient alliés à un contingent important du Fléau, commandé par un Seigneur des Cryptes.
-Côt ?
-Même Georges s'en souvient. Mais Brochaigu a l'air plus déterminé à nous botter le train non ? Grosmanu était sérieux cette fois.
-Oui mais bon, tant qu'il se tient à carreau, on ne va pas chercher les ennuis. Pourtant les Hurans n'ont pas pu ressusciter leur chef comme ça. C'est louche.
-T'en fais pas vieux, j'te ramènerai la tête de cet abruti. Du moins ce qu'il en restera... Mais on peut ressusciter un mort même quand il est en mauvais état comme ça ? J'avais vite fait mon travail certes, mais je l'avais bien fait. Ils ont dû vraiment s'y coller tôt pour ramasser tous les morceaux.
-Je les soupçonne d'être alliés avec le Fléau, maugréa Baine. Encore.
-Bon alors je vais reprendre la route maintenant. Et dans moins de douze heures il n'y aura plus de problèmes.»
Grosmanu était pressé d'en finir avec ces débiles. Et la Mesa des Nuages Rouges devait désormais être nettoyée de toutes ces engeances. Il se refit les tresses correctement, les deux qui descendaient de sa crinière et celle de sa barbe, lissa son anneau nasal et s'apprêta à reprendre sa quête. Son sac avait été rempli de bon pain de Mulgore, dont le chasseur et son familier raffolaient tant. Il arriva à la Mesa des Nuages Rouges durant l'après-midi. Il revoyait après de nombreuses années cette plaine immense peuplée de trotteurs dociles. A l'ouest pourtant, s'étendait le Ravin de Roncelame, où s'étaient installés les Hurans lors de la première tentative d'invasion. Les terres envahies par les Tranchecrins étaient rapidement asséchées et d'énormes racines épineuses sortaient du sol. Chacun des clans Tranchecrins vivait au milieu de ces ronces imposantes. L'une des raisons de l'agressivité des Tranchecrins, et notamment des Hurans, provenait (hormis leurs sales tronches) de la pousse de ces branches souterraines, qui s'élevaient quand le sol était au contact de leur magie impure.
Le camp Narache attendait également l'arrivée du chasseur. Les guetteurs se relayaient jour et nuit, toutes les douze heures depuis environ une semaine. Les Taurens luttaient contre les hommes-cochons depuis un bout de temps car les raids se faisaient de plus en plus fréquents, bien que les effectifs des défenseurs n'aient toujours pas été réduits.
Quand les habitants des quelques habitations de Narache virent Grosmanu et Georges arriver, le chasseur remarqua déjà de loin qu'un raid tout récent venait de se produire et que celui-ci avait été plus conséquent. Certains Taurens lui faisaient de grands signes tandis que d'autres semblaient fouiller partout pour retrouver quelque chose. «Ou quelqu'un, pensa le Gros. Pourtant il y a pas grand chose à cacher ici... En admettant qu'il y ait assez de place pour.» Il arriva à la hauteur du chef Vent-du-Faucon, un vieux Tauren au poil grisonnant et dirigeant de Narache au nom de Cairne. «Salut vieux, un coup de main ? le héla Grosmanu.
-Chasseur, tu tombes à pic. Les Hurans refont des leurs, lui répondit le patron du village.
-J'ai entendu le raffut de loin. Vous avez perdu un truc ?
-Je crois que les Hurans ont kidnappé Grande-Mère Vent-du Faucon... répliqua directement le vieux.
Silence pesant. «Oh non pas la Grande-mère. Je vais quand même pas devoir sauver la Grande-Mère par pitié !»
-Quel dommage, grogna enfin le chasseur, retravaillant intérieurement son plan tactique de génocide ultra-efficace qu'il utilisait habituellement pour ce genre de combats.
-Quoi ?
-Quels dommages. Je veux dire : Est-ce qu'il y a eu des dommages ?
-Ils ont kidnappé la Grande-Mère, chasseur ! Notre chamane !
Le vieux buffle était énervé, la Grande-Mère Vent-du-Faucon était en quelque sorte la guide spirituelle du camp Narache. La tradition taurène voulait que chaque petit village soit en quelque sorte gouverné par les éléments, qui parlaient aux habitants via un chaman. «Un peu comme Thrall. Sauf que Thrall avait un marteau énorme, beaucoup d'autorité et la Horde à ses pieds.» Quand il n'y avait plus de chaman dans un village, le lien était coupé et les éléments s'énervaient car leur voie n'était plus suivie.
Mais la Grande-Mère Vent-du-Faucon, c'était autre chose. Elle avait un si mauvais caractère que la Vache Kiri se serait mise à pleurer en l'entendant la sermonner, et avait acquis le surnom de Grande-mère Casse-corne. Et Grosmanu se souvenait d'elle comme quatre quand il avait débuté son enseignement ici, à la Mesa des Nuages Rouges, au milieu des hommes-cochons, des kodos, des trotteurs... «Trotteurs ?» Grosmanu revient à ses esprits, car Georges lui frappait les genoux à coups de becs, synonyme de J'ai une remarque intelligente à faire partager. «Qu'est-ce qu'il y a Georges ?
-Côt côcôt côt CÔT côt côcôcôt CÔT CÔT côcôt CÔT !
-T'es sûr ? s'enquit le Gros, qui comprenait plus ou moins le langage évolué des trotteurs.
-CÔT !
-Chef, il a raison.
-Qu'est-ce qu'il dit ? s'impatienta le chef Vent-de-Faucon.
-C'est l'heure de manger.
Le chef se contenta d'acquiescer, se retenant de coller une gifle royale à Grosmanu. Le chasseur détestait la Grande-mère, d'ailleurs tout le monde la détestait car c'était une vraie mégère, qui considérait tous les Taurens comme des objets, et qui se voyait comme LA Taurène. Elle était très sage et très vieille, certes, mais ce n'était plus un argument valable quant à son caractère de wyrm. Grosmanu avait eu un lien particulier avec elle. Il avait été à sa botte pendant des années avant qu'il n'ait l'âge de savoir lire un dictionnaire Gobelin et de lui répéter des insultes jusqu'à ce qu'elle craque. L'idée de devoir aller désormais la sauver était terrible.
Mais l'heure de manger avait sonné. Manu mangea un morceau de viande séchée et fila un bout de pain à son familier, et prit l'ultime décision de mener à bien sa quête quels que soient les critères de réussite. Après tout, cela l'aiderait peut-être à tout recommencer à zéro avec Grande-mère Casse-corne. Il questionna les quelques habitants de Narache. L'une d'entre elles était la Brave Plume-des-vents. C'était une de ses anciennes camarades lors de son apprentissage aux Nuages Rouges, mais elle avait choisi la voie de druidesse. «Tant mieux...» Elle ne manquait pas de coeur, elle était très engagée dans son rôle, qu'elle assurait pleinement. Mais elle parlait toujours en énigmes et utilisait des expressions philosophiques pas très répandues dans le commun des mortels... «Salut à toi, vaillantes jambes dont le vent se réjouit de caresser les écailles à chaque souffle ! lui lanca-t-elle en le voyant arriver. Toujours ravie de voir tes plumes grisonnantes auprès de nous.
-Ouech, toujours ravi d'entendre tes compliments, merci. Tu saurais pas où je pourrais...
-Le lapin albinos réclame la vengeance ! l'interrompit-elle. J'ai eu une vision cette nuit, Il va venir réclamer Son dû et détruire notre monde !
-Côt ?
-Le lapin albinos ? s'étonna le Gros.
-Son royaume s'étend au-delà de la limite de la Bonté. Oui, grande qu'est la Bonté, mais pas assez pour se cacher du lapin albinos, s'exclama la Brave en pointant l'horizon de son bâton enchanté.
«Bon dieu, elle y croit vraiment à son histoire de lapin terroriste ?»
-Tu verras, continua Plume-des-Vents, une lueur rouge s'éveillant peu à peu dans ses yeux, tu verras le monde détruit par le lapin albinos. Tu dois faire vite ! Les émissaires du lapin albinos ont préparé la venue du Mal. Ils vont sacrifier l'écho des éléments pour invoquer leur maître !
-Ça d'accord, mais est-ce que tu pourrais juste...
-Côt ?
-Ta gueule Georges.
-Tu dois faire vite ! ordonna la druidesse, laissant échapper un sanglot.
-Ok...
Plume-des-Vents criait à présent.
-Dépêche-toi, vaillantes jambes ! Le Mal se rapproche. Notre monde est entre tes sabots !
Grosmanu regarda entre ses sabots, juste comme ça pour voir. De l'herbe...
-Ils vont sacrifier l'écho des éléments. S'ils le font, le Mal sera partout sur la terre et l'eau et le ciel !
Elle devenait folle. Totalement. «Minute. Echo des éléments ?» Grosmanu eut une illumination :
-Les cochons vont buter Mamie pour invoquer un lapin ?
-Là-bas, loin à l'est. Faunes et flores disparaissent et deviennent le désert. Seuls les bras hérissés de la mort s'élèvent.
Les yeux de la druidesse devinrent flamboyants, elle tomba à genoux et, levant les mains au ciel, elle supplia :
-Tu dois sauver l'écho des éléments ! Tu pourras ainsi empêcher la fin du monde...
-Ecoute ma génisse (Grosmanu en avait marre maintenant), j'vais aller chercher mamie, défoncer les Hurans, buter le lapin albinos au passage, et ensuite promets-moi d'arrêter la bière Gordok, d'accord ?
-Côt ?
-Cours ! Cours et sauve ton royaume, au nom des éléments, cours !
-Ok ok c'est bon j'y vais, t'énerve pas. Relève-toi et lave-toi le visage en attendant.
-Va, va et empêche le lapin albinos de détruire le royaume des éléments ! Va et détruis les émissaires ! sanglota Plume-des-Vents.
-Côt ?
-Georges ta gueule. Ecoute ma grande, là tu fais une dépression nerveuse, ça va te passer, t'en fais pas, grogna le chasseur, de plus en plus à bout de nerfs.
Et Grosmanu décampa, laissant la Brave Plume-des-Vents à ses tirades de cinglé. La disparition de la vieille Vent-du-Faucon l'avait rendue malade. Mais les paroles de la jeune druidesse lui revinrent à l'esprit : «Ils vont sacrifier l'écho des éléments...». Il y avait un fond de vérité dans cette phrase tout de même. «Mais en quoi cet attardé mental de Brochaigu serait concerné par le retour sur terre d'un lapin blanc ? Un simple retour au pays pour trois cochons et cinq racines et c'était déjà la fin du monde. J'suis pas aidé.» Grosmanu et Georges prirent la direction du Ravin de Roncelame, où ils avaient la ferme intention de faire le ménage. Roncelame était un canyon dont seulement deux entrées étaient exploitables. L'une était une ouverture dans la falaise et l'autre avait été creusée, afin de former un tunnel de secours. Les deux ouvertures étaient bien gardées. Les Tranchecrins postaient souvent des éclaireurs aux alentours de leurs villages, et des sangliers géants surveillaient les frontières du territoire Huran.
Grosmanu opta pour une infiltration discrète, au cas où de plus grosses bestioles se terraient derrière les rochers. Il se dirigea vers la brèche principale, caché derrière un arbre, sortit son fusil et utilisa la lunette de visée pour zoomer. Un Côt de Georges lui signala qu'un sanglier approchait de leur position. Grosmanu se tourna rapidement et vit le cochon en train de brouter. Il tira sans réfléchir d'une cartouche discrète, qui atteignit l'animal en pleine tête. «Headshot, souffla-t-il, satisfait.
-Côt ?
Le chasseur reprit son observation. Peu de gardes. «Peut-être beaucoup à l'intérieur... Pour le sacrifice ?». Pourtant, il n'entendait rien, aucun chant, aucune activité, aucune incantation. Juste des Gruiiks plus ou moins stridents. «Ils sont pas beaucoup dehors... On fonce !
-Côcôcôt !
Le chasseur s'élança sur le Huran le plus proche, un archer. Grosmanu sortit ses deux armes de combat rapproché. Il empala le cochon sur l'épée avant de le dégager. Georges sauta sur un démoniste qui les avait repérés, le prenant à coups de bec et de serres. Le Gros se tourna ensuite vers cinq nouvelles cibles, et fit siffler ses lames sur elles, trancha, tailla, piétina. Il sortit son fusil d'une main et abattit des sangliers qui avaient senti l'odeur du sang. Georges prit l'un d'entre eux et commença à échanger coups, griffures et vocabulaire avec son adversaire :
-Côôt ! (Traître !)
-Gruigruiik GRUIK ! (Chien de communiste !)
-Côt côcôt CÔT côcôt ! (La faiblesse de tes mots renforcent l'inutilité de ta phrase !)
-Grougouik ? (Ah bon ?)
-Côt côcôcôt côt CÔT CÔCÔT côt ! Côt côcôcôcôt CÔT ! (Et tu ignores totalement ce qu'est un communiste ! Tu mourras pour ton insolence !)
-Grougouik ? (Ah bon ?)
Le tir retentit, et la balle siffla dans les oreilles du trotteur acharné et se figea dans le flanc droit du sanglier, qui explosa dans un éclat de sang et de... côtes de porc. Georges se tourna pour voir un chasseur Tauren relativement satisfait de la finesse de son art.
-Tir Explosif. Toujours aussi drôle. J'aime ça.
C'était un véritable charnier autour de Grosmanu. Il en était même venu aux mains pour certains des Hurans, dont les membres décrivaient désormais des angles pas très anodins. Le duo de choc pénétra dans le petit tunnel qui menait à Roncelame. Il faisait peut-être vingt mètres de long, et il était aussi vide que le crâne d'un des Tranchecrins de dehors. Ils le traversèrent et débouchèrent dans le Ravin de Roncelame. Le canyon était assez large, et par-ci par-là, d'immenses ronces sortaient du sol. Telles devenaient les terres corrompues par les Tranchecrins. «Là, Georges, t'entends ?
-Côt ?
-Oui t'entends.
En effet, d'ici s'entendaient légèrement des cris et des acclamations d'origine porcine. «Alors c'est vrai ? Il y a vraiment un sacrifice ?» Une voie aiguë avec un horrible accent lui répondit :
-Goui, tu vas mouruir ! Chien de bison ! cracha un Huran derrière eux, armé d'une massue.
-Bonhomme, refais-la s'te plaît, j'ai entendu... Bison ? Ok. On va voir ce que t'as dans le ventre...
Le Tranchecrin n'eut pas le temps de répondre. Le coup de feu partit, et l'homme-cochon redécora les murs de ses tripes.
-Je ne suis pas un bison ! hurla le chasseur, dans la ferme intention d'agglomérer tous les Hurans de la zone. Je ne suis pas un bison !
La tactique fonctionna à merveille, et des dizaines de Hurans déboulèrent de partout, les sangliers géants à leur côté. L'espèce d'incantation se tut, et Grosmanu se craqua les articulations tandis que Georges se grattait le bec. Puis ils foncèrent dans le tas. Le chasseur lança trois grenades en gangrefer qui éclatèrent au beau milieu de la foule des hybrides porcins. Manu se permit un dernier jeu de mots avant de faire chanter ses lames : «Dans le cochon, tout est bon !
-Côt !
Et alors que Georges fit un triple salto arrière suivi d'un tonneau pour atterrir en roulade avant au milieu des adversaires, l'épée et la hache du Tauren se croisèrent sous la tête d'un chaman Huran, avant de se planter droit dans un guerrier en armure rouillée. Puis la lame bleutée se figea droit dans un autre guerrier et la hache décrivit un arc de cercle qui se termina dans une destination osseuse mais inconnue. Grosmanu ne bougeait pas, comme si ses armes étaient animées. Il para un coup porté à sa jambe et riposta d'un coup de tête écrasant. Georges aussi était infernal. Il sautait de Huran en Huran, ses serres s'enfonçant dans les épaules des hybrides et son bec dans leur tête.
Grosmanu décrocha un uppercut magistral à un homme-cochon qui s'envola sous le coup puissant, et avant d'atterrir sur d'autres cadavres, fut criblé de balles perforantes. Le chasseur retourna son attention sur un Tranchecrin plus gros que les autres. Beaucoup plus gros. Georges lui dicta un ordre précis : «Côt !
-Non Georges, c'est pas Brochaigu !
Le monstre faisait facilement deux têtes de plus que le Tauren. Il était armé d'une énorme matraque en métal, hérissée de pointes inégales et mal forgées, et simplement vêtu d'un pagne. Il se rapprochait du chasseur, et ce dernier se rendit enfin compte, entre deux coups de hache et de cornes, que ce Tranchecrin était en fait un amalgame de plusieurs corps des hommes-cochons, ramené à la vie par une quelconque débilité nécromantique.
L'horreur chargea le Tauren, brandissant sa massue au dessus de sa tête. Grosmanu en fit de même, et au moment du contact, se baissa et l'attrapa par les hanches pour l'entraîner par terre dans un élégant roulé boulé. Le chasseur dût lâcher ses armes pour l'opération, mais le monstre perdit également sa masse qui atterrit, comme par hasard, sur le crâne d'un Huran ahuri. Grosmanu lui maintint la tête d'une main et lui décocha des crochets puissant de l'autre, mais l'immondice reprit ses esprits et attrapa le Tauren pour le lancer contre une paroi du ravin. Le chasseur percuta iolemment la roche. Il se releva en même temps que son adversaire et lui jeta du sable aux yeux pour l'aveugler. Le Huran géant hurla, et distingua le Gros qui se dirigeait «furtivement» vers son fusil à répétition.
Le chasseur ramassa et chargea son arme d'un même geste et tira sans viser sur son adversaire. La cartouche l'atteignit dans l'épaule droite, et le Tranchecrin géant riposta en lançant avec une force phénoménale ses petits frères qui lui passaient sous la main. Les Hurans malchanceux s'enfonçaient dans le sol, partout autour de Grosmanu, qui continuait à faire feu et à esquiver en même temps.
Il finit par se prendre un sanglier dans le mufle, et le monstre profita de l'étourdissement de sa cible pour foncer. Le chasseur évita de peu la seconde charge du monstre, et se saisit d'une épée lourde d'un des Hurans volants, qui était pour lui une épée courte. Il courut vers le géant et lui entailla la poitrine profondément. L'immondice hurla de douleur en écartant les mains. «Coup de chance, c'est maintenant ou jamais !». Grosmanu profita de l'étourderie du monstre pour enfoncer dans sa plaie une grenade en grangrefer, et courut se mettre à couvert derrière les derniers Hurans en vie. La dernière volonté du monstre fut brève : «Gruiiiiiik ! Gruik gruik GRUIIIIIIK GRUUIIIK !! GRUUIIII... Grougnbldkoug ? BAOOOOUUUUUM !!!!!» (Aarrh !! Je souffre et ça fait mal au-dessus du ventre !! Je souf... Oh c'est quoi ce truc vert là ?).
Georges liquidait les derniers crétins encoure debout et Grosmanu se ressaisit. Il tabassa durement deux des Hurans avant de prendre une outre d'eau dans son sac et d'en vider la moitié. «On en a flingué pas mal là quand même. Ça fait un beau tableau de chasse.
-Côt ?»
Le chasseur et son familier reprirent l'exploration du Ravin dans le but de trouver et démolir Brochaigu, et dans le pire des cas sauver la vieille Sabot-des-Vents. C'est alors qu'ils entendirent de nouveau les incantations des Hurans. Le duo se déplaça rapidement dans le dédale de sable et de ronces pour finalement arriver sur une vaste place, où étaient installées des dizaines de tentes. «Fabriquées avec nos fringues en plus...». Une des tentes était nettement plus grande que les autres, «La tente de commandement...». Georges et son maître se planquèrent derrière un rocher assez imposant qui leur donnait un bon point d'observation. Sur la droite, Grosmanu aperçut enfin l'origine des chants cérémoniels et des cris. Plusieurs Hurans étaient en cercle autour d'un immense totem dont le sommet était une tête de mort. Grosmanu repéra Brochaigu près de la grande tente qui marchait de long en large ; il semblait ne pas avoir récupéré tous les morceaux depuis la dernière fois. Brochaigu était recousu de partout, il boitait, il avait un oeil en moins, il lui manquait trois doigts et une défense, son groin était à moitié présent et la cage thoracique n'avait pas spécialement l'air d'être dans le bon sens... «Bah quand même, ils ont retrouvé quelques bouts...».
En continuant d'observer le rituel, le chasseur porta de nouveau son attention sur le totem. La grande-mère y était attachée, ligotée tout au long de son corps, mais était loin d'être en transe. Grosmanu se permit un ricanement en voyant que la mamie était également bâillonnée. Soudain, les chants se firent plus rapides et plus forts. Un Tranchecrin apparut au seuil de la tente de commandement. C'était un chaman vêtu de la robe cérémonielle de sa race, c'est-à-dire sale, déchirée, et en plus de ça moche. Mais ce qui fit tressaillir le Gros était que le chaman était armé d'un couteau. Ses yeux étaient d'un vert impur et il se dirigea vers le totem, ses disciples s'écartant sur son passage. Durant ce court instant, Grosmanu put apercevoir les runes qui avaient été tracées au sol autour du pilier macabre. Des marques d'invocation démoniaques. Ce détail fit comme un ding dans la tête de Grosmanu. «Il va buter mamie pour invoquer son lapin débile...».
L'homme-cochon se pointa devant la Taurène ficelée, et récita une prière. Tous les disciples, ainsi que Brochaigu, toujours derrière, se mirent à répéter un mot, qui était loin de faire partie de leur dictionnaire : «Unam'Drekrarkta !».
Grosmanu réagit rapidement, enclenchant une cartouche explosive en khorium concentré. Il entendit le cliquetis satisfaisant de la balle sous pression. Il mit en joue la tête du Tranchecrin qui commandait le rituel de sacrifice. Le chaman leva haut sa dague devant la vieille Sabot-des-Vents. Il l'abattit sur la tête de la Taurène, mais au dernier moment Grosmanu tira et le couteau frôla les poils de la guide spirituelle. La tête du Huran était désormais partout sauf à l'endroit où elle aurait réellement dû se trouver. Même le couteau était couvert de sang alors qui n'avait pas transpercé le moindre millimètre de peau. Le corps raccourci d'une tête de l'homme-cochon s'écroula et les disciples sortirent leurs armes dans des hurlements suraigus. Grosmanu sauta par-dessus le rocher, épée et hache brandies, et se rua sur les ritualistes suivis de Brochaigu qui avait également sorti une hache. Georges suivit son maître et plongea dans la mêlée.
«Enfin on se retrouve mon cochon ! Ton heure a sonné, tête de gland, encore ! lança Grosmanu en esquivant une attaque bien visée du chef Huran.
-Gruiik Je vais li.. béré un pouvoir surpuissant ! Grogn ! crache le revenant avec un accent horrible. Et tu ne seras pas là pour le voir idiot !
-Toi non-plus alors !
Brochaigu n'était plus un combattant redoutable cette fois, Grosmanu devait l'admettre. Le Tranchecrin ressuscité était animé d'une haine sans borne envers le chasseur, qui était clairement en difficulté pris entre cet abruti dégénéré et ses toutous fringués en clochards. Mais Grosmanu finit par s'énerver lui aussi. «Ok les mecs, c'est l'heure de la charcuterie. Pour toi mon grand, dit-il en coupant en deux un des disciples, ce sera du jambon ! Et toi je vais te mettre la pâté. Et toi-là reviens ici (il attrapa un Huran par le cou qu'il broya sans effort), tu devrais revendre ta tête de boudin. Où est mon andouille increvable maintenant ?
Brochaigu avait fui dans sa tente. «Brobro ? appela Grosmanu, j'ai du saucisson frai pour toi ! Ah mince mais c'est ton armée je crois ! Hé tu m'en veux pas hein ? T'en veux pas à ma petite tête de veau pas vrai ? Allez côte de porc affronte-moi qu'on en finisse !» Grosmanu pénétra à son tour dans la hutte du chef. Brochaigu s'y terrait tout au fond. «Ah mais t'es là bonhomme, tu récites tes prières ? C'est vrai que t'as pas pu le faire l'autre fois !
-Crève, chien !
-Ouais ouais, à la tienne.»
Grosmanu lança son épée à travers la salle, qui au lieu de s'arrêter dans le crâne de Brochaigu, fendit en deux le Huran et la toile de la tente pour aller se planter dans un mur derrière. «Oh mince, je devais pas ramener sa tête ?». Une pensée traversa l'esprit du chasseur. Il sortit de la tente. «Georges ! Georges t'es où mon poulet ?». Le chasseur fit le tour de l'habitation et fouilla les alentours. Il appela encore «Georges ! Geoooorges !! Bordel espèce d'abruti tu vas me répondre quand je t'appelle ? GEORGES !!!
-Côt ?
-Ah bah c'est pas trop tôt ! T'es où ?
-Côt !
-Oui ça, ça m'aide.
-Côôt !
-Certes...»
Le chasseur retrouva son familier sous les cadavres des Tranchecrins. Il jeta au loin avec respect les dépouilles des morts et finit par retrouver son trotteur coincé sous un des hommes-cochons. «T'es doué. Vraiment.
-Côt ?
-Ouais surtout pour parler... Un détail m'échappe. Ah oui la tête !»
Le Tauren retourna dans la tente de commandement des Hurans pour récupérer un morceau crânien de Brochaigu. Il prit le plus gros morceau de la tête éclatée qu'il fourra dans son sac et alla récupérer son épée. «Bon on peut y aller cette fois. T'as rien oublié fiston ?
-Côt !
-Ah miiiince la mamie ! Je l'avais presque oubliée elle ! »
En effet, la vieille Sabot-des-vents était toujours attachée au totem. Grosmanu savoura sa vengeance en tournant lentement autour d'elle, puis trancha les liens d'un coup d'épée précis. Les ficelles tombèrent toutes en même temps. Au grand désespoir du chasseur, la vieille, les mains désormais libres, enleva son superbe bâillon : «Tu en as mis du temps imbécile ! Tu m'as salie ! Ça t'arrive de faire ton travail correctement des fois ? La vieille Taurène avait la voix fausse et déséquilibrée.
-Ouais de rien. Je t'ai juste sauvée d'une mort sadique, répliqua le chasseur. On sort de là maintenant ?
-Je dois d'abord communiquer avec les éléments pour les prévenir des intentions des Hurans.
-Ah non on n'a pas le temps. Et puis quelles intentions ? Les Hurans sont tous morts. Narache est à plusieurs heures de marche à ta vitesse, alors lève-toi et partons !
-Tu n'as jamais eu de respect pour moi, moi la grande sage qui a guidé ton esprit faible vers une voie de gloire et de richesse.
-Ecoute clochette, commence pas ! Déjà c'est toi qui m'as jamais respecté ! Tu m'as toujours vu comme un moins que rien. Tiens c'est marrant, c'est pas quand j'ai arrêté de t'écouter et de t'obéir que je suis devenu un chasseur ? Si je crois ! Attends si j'étais pas devenu chasseur, l'autre imbécile avec son couteau rouillé aurait gardé sa tête et personne n'aurait épargné la tienne ! Maintenant tu la fermes, et on sort d'ici parce que tu me gaves sérieux ! Plume-des-Vents m'a déjà fait chier pendant une demi-heure avec son lapin albinos. Prononce encore un seul mot, une seule syllabe, une seule lettre et je t'éclate la cervelle. Je te le jure, je t'éclate la cervelle.
-Côt ?
-GEORGES TA GUEULE ! T'as pigé mamie ? Je veux rien entendre. Planque tes dents si tu veux les garder.»
Grosmanu tourna les sabots et prit le chemin du retour, suivi par Georges. La grande-mère ferma les yeux deux secondes, puis se décida à les suivre aussi. Ils retracèrent l'itinéraire à travers le Ravin de Roncelame et découvrirent avec dégoût que la caverne par laquelle ils étaient entrés avaient subi un éboulement. «Mince, la grenade dans le travelo géant était de trop alors. Il doit y avoir un autre passage.» Manu mena son groupe à travers le canyon. Le chasseur cherchait la seconde entrée, la principale. Soudain ils entendirent des gargouillis. «Georges t'as faim ?
-Côt ?
-Je considère ça comme un non. Mamie, fais-moi un signe de la tête ou tu vas manger sévère, c'est toi qui as faim ?
La chamane fit non de la tête.
-Alors c'est quoi ce bruit ? J'ai bien entendu quelque chose.
Comme pour répondre à sa question, un contingent de morts-vivants apparurent à un virage et se dirigèrent vers les Taurens et le trotteurs.
-Génial, grogna le Tauren, les ennuis continuent. Georges, protège la vieille !
-Côôt !
-Par les cornes de Thrall, à l'assaut ! cria le chasseur en fonçant sur les zombies. Ah mais Thrall il a pas de cornes... Pas grave, bastooon !»
La stratégie ultra-développée de Grosmanu fonctionna encore à merveille, réduisant les quelques morts-vivants en charpie. Mais derrière cette escouade de non-morts surgirent quatre abominations du Fléau. «Les morts-vivants sont réellement alliés aux Hurans. Ou alors l'inverse... Peu importe.» Le plan n'était pas compliqué non-plus encore une fois, les abominations ayant l'avantage grâce à leur taille et à leur nombre. «Courez ! ordonna le chasseur en pointant le doigt dans la direction d'où ils venaient.
-Côt ?
-Ferme-la et cours ! J'vais trouver un plan, t'inquiète mamie j'vais nous sortir de là mais grouillez-vous ! »
Les énormes morts-vivants les prirent en chasse, leur lenteur étant compensée par la distance qu'ils parcouraient en un pas. «Réfléchis, trouve une issue nom d'une corne... Ah mais tiens, j'ai encore les grenades lourdes immobilisantes en adamandite renforcée khorium...» Grosmanu fourra le museau dans son sac tout en courant et en sortit trois cylindres verts de la taille d'une main humaine. Les grenades étaient goupillées et sécurisées. Le Tauren retira les clés et les goupilles, et les jeta par terre. «Bougez-vous ça va exploser ! Grouillez-vous allez !» hurla Grosmanu en regardant les grenades s'agiter de plus en plus. «5...4... 3...» Les abominations étaient presque à la hauteur des explosifs mais poursuivaient leur course. «2...1...» Les grenades éclatèrent dans un fracas assourdissant, enveloppant les quatre monstruosités dans un déluge de flammes. La terre trembla sous leurs sabots (et leurs serres), et le groupe s'arrêta pour regarder le résultat : un cratère de cinq mètres de diamètre remplie de terre calcinée et de morceaux de chair non-identifiés étalés un peu partout. «C'est bien joué, argumenta doucement la grande-mère Sabot-des-Vents.
-Merci, répondit simplement le Tauren.
-Côcôt.»
-Tâchons de ressortir maintenant, et discrètement cette fois, j'en ai plein les poils de ces travelos.»
Grosmanu, la vieille chamane et Georges parvinrent à sortir du Ravin de Roncelame sans difficulté. Ils atteignirent le camp Narache au crépuscule. Le chasseur ne voulant pas s'attarder ici en présence de la mamie, il dut tout de même céder à un caprice de Georges qui faisait bêtement le mort. Mais ce que Grosmanu redoutait le plus arriva tout de même, la chamane vint lui parler : «Chasseur, je te dois des excuses sur ce que j'ai dit jusqu'à maintenant...
-Ah non par pitié, laisse-moi tranquille, j'en ai marre maintenant. J'étais bien tranquille à Nagrand et je compte y retourner au plus vite.
-Non attends, je dois au moins te prévenir. Un grand danger te guette.
-Original. T'en fais pas j'ai l'habitude. C'est ma spécialité d'être dans l'embrouille.
-Ecoute au moins ce que j'ai à te dire !
-Qu'il en soit ainsi. Mais fais vite. Georges réveille-moi quand elle a fini.
-Sérieusement Arkra !
-Quoi ?
-C'est ton nom en Tauren.
-Damned mais j'vais me tirer une balle un de ces jours. Mais venons-en au fait, parle donc ! Je t'écoute.
-J'ai parlé à la Brave Plume-des-Vents.
-HAHAHAHAHAHAHA haha ha hem... Et alors ?
-Elle n'est pas folle. Les Hurans cherchaient bien à me sacrifier pour invoquer un être maléfique. Cet être ne peut venir en notre monde que si le sang d'un innocent lui est offert.
-Toi, innocente ? Hein non je parlais à Georges... C'est qui ce mec sinon ? Ça a pas l'air bien vilain ton bitzouf.
-Je l'ignore. Mais c'est un agent hautement placé du Fléau du Roi-Liche, et probablement même à son propre compte. Je ne te demande qu'une seule chose : chaque fois que tu seras confronté à la non-vie, tâche d'enquêter un minimum. Peut-être cet agent fera tout pour se débarrasser de toi.
-Ok promis je ferai ce que je peux. Mais je dois partir maintenant.
-Va, chasseur, et que la victoire te suive partout là où ta route croisera celle du mal !
-Hein ? J'veux dire heu... Ouais merci mamie, à plus !
Et Grosmanu reprit son voyage. Il toucherait au but dans moins d'une heure, lorsqu'il livrerait la tête, ou de moins un morceau, de Brochaigu à Baine Sabot-de-Sang. Manu atteignit le village en fin de soirée. Plusieurs habitants dormaient déjà mais le chef du village et un autre Tauren attendaient Grosmanu et Georges. «Salut vieux, je suis de retour avec une partie de ton cadeau.
-Une partie ? s'interrogea Baine.
-Heu ouais... Héhé j'ai été un tout petit peu violent sur ce coup et j'ai pas tout de suite pensé à toi en fait, expliqua le chasseur en montrant la moitié de boîte crânienne au chef de Sabot-de-Sang. J'ai pris la plus grosse moitié.
-Bon ça fera l'affaire. Tout s'est bien passé j'imagine.
-Ouaip presque.
-Presque ?
-Ils avaient embarqué la grande-mère Sabots-des-Vents lors d'un raid et j'ai dû la secourir. Elle m'a parlé d'un mec du Fléau qui cherche à détruire le monde. Les Hurans cherchaient à l'invoquer en sacrifiant la vieille chamane de Narache. Cette histoire te serait familière pas hasard ? Elle m'a supplié d'enquêter.
-Eh bien oui, répondit gravement Bain. Et c'est justement je crois bien la raison de la présence de Perithion Libre-Marche.
Le Tauren qui attendait à côté du chef s'inclina respectueusement. Le Gros lui rendit son salut et se présenta : «Grosmanu, chasseur Tauren. Que puis-je pour vous l'ami ?
-Je porte un message de la part de...
-Non ne me dites pas que Garadar a des problèmes avec le Fléau !
-Est-il devin ? demanda le messager à Baine.
-Non, il est juste habitué.
-Bah voilà, grogna le chasseur, il suffit que je prenne deux jours de vacances ou que je vienne filer un coup de main à un pote et c'est le bordel partout dans le monde ! Non mais franchement, vous le faites exprès !
-Tu connais l'expression mon ami, ricana Baine en posant sa main sur l'épaule du chasseur. Pas de repos pour les braves.
-Ouais ouais, mais au moins ça veut dire que je suis courageux.
-C'est juste une expression.
-Côcôt !
-Toi ta gueule !